La Halte Saint-Vincent est une association présente dans la Maison d’accueil des familles du Centre Pénitentiaire de Paris-La Santé, dans le 14e arrondissement. Soutenue par la Fondation Notre Dame, elle accueille les proches des détenus avant leur entrée au parloir.
« Videz vos poches dans les casiers, avancez par ici s’il vous plaît. Qui n’est pas encore enregistré ? »
Il y a là des parents âgés, de jeunes mères, des sœurs, des frères et des enfants en bas âge. Tous ont le visage soucieux, sauf les enfants, qui se précipitent vers les jeux mis à leur disposition et un point commun : l’un de leurs proches, un homme de leur famille, est incarcéré à la prison de la Santé. Ils ont longé les hauts murs imposants du boulevard Arago et pénétré dans la Maison d’accueil des familles, rue Messier, appelée aussi « l’Abri ». Ici, après l’enregistrement et le dépôt de leurs effets personnels dans un casier, ils patienteront environ trois quarts d’heure, en attendant leur tour de parloir.
Cette attente, aux portes de la prison, est souvent pesante et stressante. C’est la raison d’être de l’association la Halte Saint-Vincent, qui propose un espace d’accueil où les proches des détenus peuvent boire un café et parler avec quelqu’un, s’ils le souhaitent.

Une présence bienveillante dans un moment d’épreuve
Depuis sa création en 1999, à la demande de l’administration pénitentiaire, l’association, qui travaille en collaboration avec GEPSA[1], le SPIP[2], les surveillants du parloir, la direction de l’établissement ainsi que l’association Lire pour en Sortir , joue un rôle essentiel dans le maintien des liens familiaux entre les détenus et leurs proches. Ces liens, fragilisés par la détention, sont vitaux, tant pour les familles que pour la réinsertion future des personnes incarcérées.
Dans la salle d’attente, chaque semaine, 30 bénévoles se relaient, à raison de deux à quatre par permanence, lors des heures de parloir. Il y a trois parloirs le matin et deux l’après-midi, tous les jours sauf le dimanche et le lundi. Les bénévoles sont donc présents de 7h45 à 16h.
Leur mission ? Apporter du réconfort à celles et ceux qui attendent de retrouver un proche derrière les barreaux. Ils proposent un café, qui amorce souvent un premier échange, des jeux pour les enfants, mais aussi un sourire, une écoute, une main tendue. Ils sont également présents au retour du parloir. Ils ne posent pas de questions, ne forcent personne à parler, mais restent disponibles, attentifs. Lorsque quelqu’un semble particulièrement perdu, ils posent une unique question : « De quoi avez-vous besoin ? » Ces gestes simples, cette attention sincère, soulagent le poids de l’attente et rappellent aux familles qu’elles ne sont pas seules.
Beaucoup, enfermés dans leur souffrance, ne parlent pas. Avoir un proche incarcéré est toujours synonyme de honte et de douleur. « Pour les familles, c’est la double peine », explique Evelyne de Larquier, la présidente de l’association. Il faut réorganiser sa vie sans la personne détenue, tout en venant la visiter régulièrement. Certaines personnes n’osent pas dire à leur entourage qu’un proche est en prison. L’une d’elles lui a avoué que ses collègues croyaient simplement qu’elle était séparée de son mari et qu’elle ne les détrompait pas. Des familles viennent de loin. Un couple fait chaque samedi le trajet depuis Bordeaux, en autocar de nuit, pour être présent dès le premier parloir du matin. Être accueilli chaleureusement est d’autant plus essentiel quand la fatigue se mêle à l’inquiétude. Les personnes qui viennent pour la première fois sont souvent perdues : entre le choc de l’incarcération d’un proche et les nombreuses consignes à respecter, notamment sur les vêtements ou le linge autorisés, les bénévoles jouent un rôle précieux d’aiguillage. Ce jour-là, un couple âgé vient pour la première fois visiter son fils. L’association prend le temps de tout leur expliquer, calmement.
[1] Le partenaire privé du Centre Pénitentiaire de Paris-La-Santé
[2] Service Pénitentiaire d’Insertion et de Probation

Des initiatives ponctuelles
Pour resserrer les liens familiaux distendus par l’incarcération, plusieurs initiatives sont mises en place.
À Noël, les familles peuvent déposer un colis pour la personne détenue. Les bénévoles les aident à respecter scrupuleusement la liste des produits autorisés, principalement du sucré. Tous les emballages doivent être retirés, et les denrées placées dans un sac transparent. Des colis sont également préparés, en lien avec le diocèse de Paris et d’autres associations, pour les détenus indigents qui ne reçoivent rien. Ces colis, remis en main propre par un bénévole, sont très importants, comme le montre cette parole d’un détenu reconnaissant : « Merci de ne pas nous juger pour ce qu’on a fait. »
Toujours à l’approche de Noël, un événement est organisé par le SPIP et l’association Relais Enfants-Parents : un après-midi festif avec un spectacle de clown dans le gymnase de la prison. Les pères peuvent « cantiner » un jouet — l’acheter en détention — pour l’offrir à leur enfant. Le jour J, les mères amènent leurs enfants jusqu’aux portes de la prison, munis de leur carte d’identité. Les bénévoles les prennent alors en charge pour les conduire à l’intérieur. En 2024, 45 enfants y ont participé. Le plus jeune avait six mois. Une animation similaire est proposée pour la fête des Pères.
L’association Lire pour en sortir propose, le mercredi et le samedi, le programme « Lire en famille », qui permet aux enfants de choisir un livre à emporter exceptionnellement au parloir pour le lire avec leur père. Ils bénéficient d’une autorisation spéciale : d’ordinaire, rien ne peut être emporté lors des visites, pas même un paquet de mouchoirs.
Des besoins croissants, une mobilisation sans faille
Depuis la réouverture de la prison en 2019, la fréquentation de la Halte Saint-Vincent ne cesse de croître. De 1 700 visiteurs mensuels en 2020, l’association est passée à 2 500, voire 3 000. Cette hausse a un coût : les boissons et gâteaux offerts aux familles constituent la principale dépense de l’association.
Pour répondre à cette affluence, il faut aussi plus de bénévoles, notamment les jours les plus chargés comme le mercredi et le samedi, mais il faut surtout les former. Chaque nouvel arrivant dans l’association est formé à l’écoute active, à la compréhension du milieu carcéral, à la gestion des émotions… La plupart des formations sont dispensées par l’UFRAMA[1] et représentent un investissement important mais indispensable. « On peut et on doit se former à ce type d’écoute bienveillante, sans jugement », insiste Evelyne de Larquier. « Pour bien écouter, il faut de la compassion, mais pas d’affect », ajoute-t-elle.
Plusieurs fois, elle a prêté une oreille attentive à des proches en grande détresse, comme cette femme épuisée qui lui avait dit : « Je n’en peux plus. Depuis que mon mari est en détention, je gère son entreprise tout en m’occupant de notre fille de quatre ans. C’est très dur. » Les bénévoles, par leur présence discrète et leur écoute sincère, tentent d’alléger un peu ce fardeau.
En offrant un lieu d’écoute et de réconfort à celles et ceux qui vivent l’épreuve de la détention d’un proche, la Halte Saint-Vincent Paris-La Santé remplit une mission essentielle, à la fois sociale et humaine. Dans cette antichambre du parloir, dans ce moment éprouvant, les bénévoles sont les visages de la solidarité et de la fraternité. Leur engagement, silencieux mais constant, rappelle que la justice ne peut être vraiment juste que si elle s’accompagne d’humanité.
[1] Union nationale des Fédérations Régionales des Associations de Maisons d’Accueil de familles et proches de personnes détenue
(c) Maëlle Daviet