Exister grâce à la domiciliation

Depuis la loi du 5 mars 2007 instituant le Droit au logement opposable, l’octroi de certaines prestations aux personnes sans domicile fixe est conditionné par leur domiciliation auprès d’organismes agréés.

En France, plus d’un millier d’associations offrent ainsi gratuitement aux personnes en grande précarité une adresse leur permettant d’ouvrir leurs droits à des services et à des prestations sociales. Un moyen pour elles d’exister.

L’Association Solidarité Jean Merlin (18e) est l’une de celles qui apportent ce soutien indispensable dans le cadre des démarches administratives et juridiques. Depuis sa création en 1985, elle a aidé 24 000 personnes en vue de leur intégration.

Pour tenter de comprendre ce qui se passe à l’intérieur des locaux exigus, il faut prendre le temps de cheminer le long du boulevard Ney. Par un glacial matin d’hiver, une file déjà compacte s’est formée sur le trottoir devant l’association. Ces hommes et des femmes, souvent accompagnés de jeunes enfants dont on ne distingue sous la capuche que le petit nez gelé, attendent l’ouverture pour récupérer leur courrier.

Une justice sociale à visage humain

C’est un étrange bonhomme, que ce Jean Merlin, diacre permanent ordonné en 1980, et dont le procès en béatification est en cours. « Il ne supportait plus de voir des hommes, des femmes et des enfants, mourir de froid dans les rues du 18e arrondissement », raconte, le visage grave, Jean-Pierre V. Les yeux de l’actuel président d’honneur, âgé de 81 ans, brillent quand il évoque le nom du fondateur. « La domiciliation, mise en place à l’initiative de Jean Merlin lors de la création du RMI, a nécessité de terribles combats. Certains, et pas des moindres s’agissant de l’acquisition des locaux, ont été gagnés grâce à l’appui de la Fondation Notre Dame » précise-t-il, d’une voix reconnaissante.

À ce jour, l’association propose ses services à 3 600 personnes du 18e et des arrondissements voisins (19e et 20e). « Au début, l’essentiel des communications transitait par courrier. Aujourd’hui, tous les échanges de documents s’effectuent par internet. Cela nous a rendus incontournables face à des personnes dont la plupart ne maîtrisent pas les outils informatiques » se désole Jean-Pierre V. qui ne se sent pas vraiment le courage de quitter le navire dans de telles conditions. « J’ai fait le compte : depuis sa création, l’association a dépanné 24 000 personnes ! », conclut l’octogénaire, avec fierté.

Des histoires en partage

À l’intérieur des locaux, aucune agressivité. Des sourires confiants habitent, au contraire, les visages avenants des personnes venues chercher ici leur DALO* ou rencontrer « la gentille demoiselle qui s’occupe bien de mon dossier de régularisation », glisse Ali. Originaire d’Algérie, ce célibataire de 56 ans espère un jour reprendre en France son métier d’électricien.

« C’est vrai, les bénévoles sont pleins d’empathie. Grâce à eux, j’ai pu trouver une place dans une maison adaptée pour mon enfant handicapé », reconnait Amina, originaire De Tizi Ouzou, en Kabylie.

« Ici, tu te sens écouté » confirme Abdul, 40 ans, originaire du Bengladesh, toujours en attente de sa carte de séjour.

« Mon rêve ? », s’interroge Kouassi, 36 ans, originaire de Côte d’Ivoire : « Pouvoir reprendre ici, si Dieu me donne longue vie, le travail de plombier que j’ai dû abandonner dans mon pays d’origine, il y a maintenant sept ans ! » conclut-t-il avec un accent nouchi chantant.

« Aujourd’hui, je suis venu renouveler mon assurance médicale qui a expiré », chuchote Vlad ayant fui la Biélorussie à 18 ans, sans papiers.

* L’entrée en vigueur de la loi loi DALO (Droit au logement opposable) en 2017 marque une étape dans l’histoire de l’association. Cette loi reconnaît un droit au logement décent et indépendant aux personnes résidant de façon stable et régulière en France, qui en étaient exclues. À partir de cette date, des liens se sont tissés entre Solidarité Jean Merlin et d’autres organismes tels que Dom’Asile, le Secours catholique et la Cimade, pour unir leurs efforts et trouver ensemble des réponses aux besoins des personnes accueillies.

Des bénéficiaires engagés bénévolement

« J’ai dû venir ici pour suivre un traitement médical, en lien avec des complications liées au diabète. Ce n’est pas facile, là-bas, de se faire soigner. J’espère que ma demande de séjour pourra être régularisée. J’aimerais bien pouvoir rester ici, après, pour pouvoir continuer à être suivie sur le plan médical.

La Kabylie, c’est bien, j’ai même ma maman là-bas qui a 80 ans. Mais pour les sous, c’est moins dur en France.  Et les gens qui nous accueillent ici, ils sont très gentils. Un peu comme les gens du Bled, chez nous. On sent que ça leur fait plaisir d’aider les autres ! » confie Yasmine, 32 ans, arrivée d’Oran il y a neuf ans.

Cette jeune femme au regard franc, licenciée en droit, avait dû abandonner ses études à la naissance de Karim, son troisième enfant. Elle ne désespère pas de pouvoir poursuivre ses études en France, quand elle aura trouvé une solution pour Amine, 8 ans, et Mehdi, 7 ans.

En attendant, elle a décidé de mettre ses compétences juridiques, au service de l’association. Elle fait désormais partie de l’équipe de bénévoles-bénéficiaires de Solidarité Jean Merlin, composée d’une dizaine de personnes.

« Le bénévolat me fait du bien, c’est un cercle vertueux qui m’apporte beaucoup plus que je ne l’imaginais ; je me sens utile, j’y trouve du sens, et je rencontre des gens… » reconnaît Yasmine, même si celle-ci ne cache pas sa tristesse en observant Lina.

Cette femme de 58 ans, hébergée à l’hôpital depuis qu’elle s’est fait renverser par une voiture, fréquente l’association depuis vingt ans. Elle conclut : « Ne vous inquiétez pas ! À force, ici, c’est comme ma famille ! »

Photos : FND © DR