Échange du cardinal André Vingt-Trois avec nos donateurs

Dialogue avec le Cardinal André Vingt-trois

Dialogue avec le Cardinal André Vingt-Trois, président de la Fondation Notre Dame

lors de la Rencontre avec nos donateurs et amis – Mercredi 18 octobre 2017 au Collège des Bernardins (Paris 5e)

Question d’un donateur – Les nouvelles situations de pauvreté

Pendant les vingt-cinq ans écoulés, quelles sont les nouvelles situations de pauvreté que la Fondation Notre Dame a vu apparaître ? Quelles nouvelles situations de pauvreté voyez-vous poindre dans les années qui viennent ? Si vous identifiez de nouvelles pauvretés, comment les éviter ? Autrement dit, comment la Fondation Notre Dame peut-elle prévenir plutôt que guérir ? (Ce qu’elle fait sans doute lorsqu’elle intervient dans le domaine de l’enfance ou de l’adolescence).

Cardinal Vingt-Trois

La Fondation Notre Dame n’est pas un instrument spécialement équipé pour détecter, mesurer et marquer les pauvretés particulières. Elle en sait autant que tout le monde et pas plus que tout le monde sur les nouvelles pauvretés dans notre monde. Il suffit de regarder ce qui nous entoure, sauf que la foi chrétienne qui anime les membres de la Fondation Notre Dame peut les rendre plus attentifs ou plus perspicaces pour détecter des pauvretés qui ne sont pas forcément évidentes.

Quand on parle par exemple des gens qui vivent dans la rue, c’est quelque chose que tout le monde connaît, dont tout le monde parle. Mais qui rencontre effectivement des gens qui vivent dans la rue ? C’est cela la question. Ou bien encore, on a présenté tout à l’heure avec le projet Mosaïk un aperçu d’une pauvreté qui n’est pas une pauvreté économique extraordinaire mais qui est une pauvreté humaine, une difficulté humaine pour vivre. Ce genre de pauvreté n’apparaît jamais sur les radars. Vous ne voyez pas grand monde qui se promène en disant « je suis diplômé et je ne trouve pas d’emploi ». Pas plus que vous ne voyez des adolescents ou des jeunes se promener en disant « je n’ai plus de famille » ou « j’ai une famille démembrée, je dois me débrouiller seul ». Ce sont des pauvretés qui sont couvertes par la pudeur sociale, par la honte et qui ne se manifestent pas. Elles n’apparaissent que si on y est attentif, si on est vraiment poussé par le désir de les connaître, de les identifier, de faire quelque chose.

La Fondation Notre Dame n’est pas un opérateur. Elle est destinée à soutenir des opérateurs si bien que ce n’est pas elle qui construit des projets.

Je voudrais apporter une précision pour qu’il n’y ait pas de confusion dans nos propos. La Fondation Notre Dame n’est pas un opérateur. Elle est une association destinée à soutenir des opérateurs si bien que ce n’est pas elle qui construit des projets.

Elle encourage des projets, elle soutient ces projets, mais ceux qui détectent l’endroit où il faut faire quelque chose, ceux qui mettent en œuvre un projet pour agir, ce n’est pas la Fondation, ce sont les gens qui vivent dans la vie sociale, dans la vie paroissiale, dans les réseaux de diverses catégories, et qui se tournent vers la Fondation Notre Dame uniquement pour obtenir un soutien financier et leur permettre de mettre en œuvre leur projet.

Donc la contribution de la Fondation Notre Dame est à la fois très ambitieuse et très modeste. Elle est très ambitieuse parce qu’elle suppose qu’on collecte de l’argent pour avoir des fonds disponibles, ce qui n’est pas rien, et elle est très modeste parce qu’elle ne possède pas de clef sociale pour gérer les difficultés réelles. Elle ne dispose que du soutien monétaire et ecclésial qu’elle peut apporter à des projets pour qu’ils traitent, eux, les difficultés. Si bien que lorsque vous me demandez ce qu’on peut identifier comme pauvretés, je vous réponds qu’il faut se tourner vers les gens qui les identifient, qui les gèrent, qui les traitent, qui essayent de faire quelque chose, parce que ce sont eux qui connaissent les vraies pauvretés. Ils ne les connaissent que dans la mesure où ils essayent de faire quelque chose, s’ils ne font rien, ils ne connaissent aucune pauvreté. Vous pouvez vivre dans un océan de pauvretés sans rien voir, sans rien faire. Donc notre grande richesse, c’est précisément la densité de ce réseau de personnes convaincues qui se mettent au travail pour faire quelque chose.

Question d’un donateur – La lutte contre la pauvreté

Comment la Fondation agit-elle pour ne pas tomber dans deux travers habituels de la lutte contre la pauvreté (morale ou matérielle) : l’indifférence (l’action est mécanique) ou l’assistanat (l’action est empreinte de condescendance) ?

Cardinal Vingt-Trois

S’il n’y a que deux travers, c’est bien ! Je pense que le levier le plus efficace par lequel la Fondation peut aider à une véritable lutte contre la pauvreté, c’est le dialogue qui s’établit entre la Fondation et les gens qui demandent un soutien. Ce dialogue, c’est quelque chose que très peu de monde voit et connaît, mais cela veut dire que chaque projet qui demande une contribution à la Fondation Notre Dame est sollicité pour définir un certain nombre de critères sur les objectifs poursuivis, sur les moyens mis en œuvre, sur l’enracinement social, ecclésial.

Ces questions, qui ne sont pas des questions pièges, ont l’avantage d’aider un certain nombre de personnes qui veulent lancer des projets à se poser les bonnes questions. Comment l’idée qu’on peut avoir de faire quelque chose s’enracine-t-elle dans une réalité identifiée ? Comment les moyens mis en œuvre correspondent-ils à un objectif que l’on est capable d’énoncer ?

C’est à travers ce questionnement, ce dialogue, cette interrogation renouvelée que la Fondation essaye d’aider les porteurs de projet à éviter les écueils que vous venez de nous signaler.

Chaque projet qui demande une contribution à la Fondation Notre Dame est sollicité pour définir un certain nombre de critères sur les objectifs poursuivis, sur les moyens mis en œuvre, sur l’enracinement social, ecclésial.

Plus précisément : je souhaiterais savoir comment s’articulent les actions sociales et humanitaires de la Fondation par rapport à celles du Secours Catholique et ce qui les distingue le cas échéant ?

Cardinal Vingt-Trois

C’est très facile, je pense qu’à partir de ce que je vous ai dit vous avez déjà des éléments de réponse. Le Secours Catholique est une organisation qui est un opérateur. Le Secours Catholique porte des projets internationaux, nationaux, locaux, et les met en œuvre. La Fondation Notre Dame n’a pas de projets ! Je veux dire que nous ne sommes réalisateurs d’aucun projet par nous-même, nous ne sommes réalisateurs que par la médiation des acteurs locaux qui sont en situation d’analyser des besoins, d’analyser des actions à mener et qui propose de les mener.

Mais dans ces projets ils peuvent aussi faire appel au Secours Catholique, non pas pour leur fournir de l’argent mais pour entrer en collaboration sur des projets de mise en œuvre. Nous ne sommes pas dans une concurrence institutionnelle. Le Secours Catholique est un acteur direct, nous, nous sommes une fondation de soutien, ce n’est pas exactement le même registre.

Question d’un donateur – L’islam dans notre société occidentale sécularisée

Par rapport à l’actualité il manque vraiment des cours sur l’islam, particulièrement pour analyser la situation et la place de cette religion en Occident. Est-ce trop source de polémiques ? Quelles sont les relations que l’on pourrait espérer entre l’islam et la société occidentale sécularisée ? Beaucoup de cours sont en lien avec le judaïsme et c’est très bien mais avec la religion musulmane il n’y en n’a pas assez.

Cardinal Vingt-Trois

Je pense que c’est très difficile de parler de l’islam parce qu’on ne sait pas très bien de quoi on parle. Je veux dire qu’on a un peu trop tendance à avoir une vision catholique de l’islam. L’islam n’est pas une religion unifiée comme le catholicisme, et donc, parler des relations avec l’islam en général, c’est parler sur une hypothèse qui ne s’accomplira jamais. Ce qui peut s’accomplir et ce que nous essayons de réaliser, c’est d’avoir des relations avec des musulmans concrets, identifiés, pas avec l’islam en général.

Maintenant, pour répondre à votre question, j’ai apporté un fascicule d’une quinzaine de pages qui regroupe toutes les propositions de cours sur l’islam. Ce ne sont pas tous des cours donnés aux Bernardins mais il peut y avoir aussi des choses intéressantes ailleurs ! Et donc, je ne peux pas penser que quelqu’un qui habite Paris et qui possède un maniement minimum d’Internet puisse rester en souffrance par un manque d’information sur l’islam.

Plus précisément, puisque la question était posée sur l’École Cathédrale, il y aura un nouveau cours en 2017-2018, en soirée, au second semestre, « Le Coran et la tradition prophétique ». C’est un exemple d’enseignement qui concerne l’islam.

Cette question, telle qu’elle est formulée, « Le Coran et la tradition prophétique » est une question type de cours, c’est-à-dire d’enseignement sur des corpus identifiés. C’est très nécessaire car cela peut nous aider à mieux comprendre, d’abord notre tradition catholique et ensuite la tradition coranique.

Mais ce n’est pas par-là que les relations avec les musulmans vont se résoudre, car la première difficulté n’est pas une difficulté idéologique au sens large, c’est une difficulté concrète. Où sont les musulmans ? Qui sont les musulmans ? Comment rencontrons-nous les musulmans ? Cette difficulté-là est présente quotidiennement dans tous les quartiers de l’Ile-de-France. C’est là-dessus qu’il faut que nous puissions travailler, mais ce n’est pas un cours qui va donner la solution. Le cours est nécessaire pour éclairer, pour aider à comprendre la situation dans laquelle on se trouve mais ce n’est pas le cours qui va donner la solution.

Question d’un donateur – L’état de santé du Cardinal

Même si cela sortait un peu du contexte, cela nous ferait plaisir d’avoir des nouvelles sur l’amélioration de la santé du Cardinal que nous n’omettons pas de recommander dans nos prières.

Cardinal Vingt-Trois

Je vous en remercie beaucoup. Je ne pense pas que ma santé intéresse beaucoup de monde. Mais comme vous voyez je suis debout. Je peux encore parler !

En ce sens, ma santé s’est beaucoup améliorée, non pas que j’avais été empêché de parler mais j’étais empêché de me déplacer. Maintenant, je peux me déplacer et grâce à des traitements médicamenteux un peu contraignants, je peux vivre !

Je voudrais ajouter deux choses pour terminer.

La première, c’est qu’il ne faut pas oublier que la Fondation Notre Dame comporte plusieurs versants. Vous l’avez vu à travers les témoignages qui ont été apportés. Le versant de la solidarité, du partage, de l’affrontement à la pauvreté, est un versant très important et qui rassemble beaucoup de besoins.

Il ne faut pas oublier le versant culturel, dont vous avez eu un écho sonore à travers le duo que nous avons entendu mais qui s’étend beaucoup plus largement et surtout par le fait que dans notre société, l’investissement culturel est un des éléments déterminant pour l’intégration des jeunes dans la société. Et donc la Fondation apporte son soutien à beaucoup de projets. Vous en avez eu un écho par le Père Chouanard tout à l’heure. Nous avons beaucoup de projets qui sont une forme d’inculturation pour un certain nombre de jeunes, c’est-à-dire des moyens d’accéder à une certaine culture. Le versant de la communication, dont vous avez eu écho par KTO, est aussi un versant très important.

Ce que je voudrais souligner, qui était peut-être un peu prophétique dans la fondation de la Fondation Notre Dame, c’était précisément l’interaction de ces divers secteurs, car c’est aussi par la culture que l’on peut lutter contre la pauvreté.

Il y a tout un ensemble de lacunes, de handicaps dans notre vie sociale qui sont conjoints les uns avec les autres, et qu’on ne peut pas gérer simplement par une seule forme d’action. On doit allier différents modes d’action.

C’est en luttant contre la pauvreté que l’on permet à des gens d’accéder à la culture. Il y a tout un ensemble de lacunes, de handicaps dans notre vie sociale qui sont conjoints les uns avec les autres, et qu’on ne peut pas gérer simplement par une seule forme d’action. On doit allier différents modes d’action.

La deuxième chose que je voudrais ajouter par précaution, c’est vous redire ma confiance profonde dans votre générosité parce que si le changement de statut fiscal de l’ISF se réalise, comme il semble que ce soit le cas, je ne doute pas que vous ferez la démonstration que vous n’étiez pas simplement des donateurs pour contourner l’impôt ou pour orienter l’impôt, mais que vous êtes des donateurs pour faire vivre un certain nombre de projets. Et que si c’est avec un moindre bénéfice fiscal, cela sera compensé par un accroissement de votre générosité !

Par conséquent, je vous remercie d’avance de confirmer ma vision optimiste du monde. Depuis 12 ans que je suis archevêque de Paris, j’ai eu à subir pratiquement chaque année des avertissements qui étaient tout à fait légitimes de la part des gens qui me conseillent, qui m’expliquaient que l’année suivante serait catastrophique, que les ressources allaient s’écrouler, que l’on était parti pour un sombre voyage… Grâce à Dieu, je les écoutais avec la révérence que méritaient leurs compétences mais je n’ai pas été complètement convaincu et cela ne s’est jamais produit. Il y a eu certes des crises financières, dont nous avons été témoins, mais les ressources de l’Église ne se sont pas effondrées avec la crise financière. Il y a des périodes difficiles où le rendement est plus dur à faire venir, mais à ce jour nous n’avons pas sombré, et je pense que si nous ne sombrons pas, c’est précisément parce que nous ne reposons pas simplement sur les équilibres financiers de la société mais sur une autre énergie.

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